Prix minimum : revendication syndicats et élus pour mieux protéger les agriculteurs

Colère des agriculteurs : on vous explique ce qu'est le prix minimum, réclamé par certains syndicats et élus
          La Confédération paysanne et plusieurs partis de gauche revendiquent ce principe qui permettrait aux producteurs d'inverser le rapport de force avec les industriels et les distributeurs lors des négociations.

La Confédération paysanne ainsi que divers partis politiques de gauche militent en faveur de l’instauration de ce principe qui offrirait aux agriculteurs la possibilité de renverser la hiérarchie de pouvoir vis-à-vis des grandes industries agroalimentaires et des distributeurs lors des discussions contractuelles.

Une nouvelle loi Egalim, mais à quel prix ? Après les mobilisations massives des agriculteurs, Gabriel Attal a promis, mercredi 21 février, qu’un nouveau texte de loi serait présenté d’ici l’été pour « renforcer le dispositif Egalim ». Il doit permettre une meilleure rémunération des agriculteurs dans le cadre des négociations entre distributeurs et fournisseurs agro-industriels, a précisé le Premier ministre. « On parle enfin d’un besoin d’améliorer le cœur même de la loi Egalim, à savoir travailler sur les prix », a réagi Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, sur franceinfo. Ce syndicat agricole, classé à gauche, espère surtout l’instauration d’un prix minimum « qui couvre les coûts de production et la rémunération des producteurs ». On vous explique de quoi il s’agit.

## Une revendication de gauche

Le prix minimum, ou prix garanti, « est un prix en dessous duquel l’industriel ou le distributeur ne peut descendre » pour l’achat d’une matière première agricole, comme le lait, explique l’économiste Thierry Pouch, spécialiste du secteur agricole. Dans ce scénario, « ce sont les pouvoirs publics, à l’échelle nationale ou européenne, qui encadrent ce prix minimum », complète-t-il. En revendiquant un prix garanti dans le cadre de la nouvelle mouture Egalim, la Confédération paysanne souhaite donc que l’Etat prenne ses responsabilités. « On veut que ce soit inscrit dans une loi », confirme Véronique Marchesseau, secrétaire générale du syndicat agricole.

La Confédération paysanne demande que les coûts de production, la rémunération de l’agriculteur, ainsi que le financement de sa protection sociale soient pris en compte dans le mode de calcul. Ce prix minimum pour chaque denrée représenterait « la majorité de l’échantillon » des produits agricoles, afin de ne pas « rentrer dans des détails infinis ». Pour certaines denrées, comme le lait, la Confédération paysanne précise qu’il faudra toutefois faire des distinctions entre « lait de montagne », « de plaine », « à l’herbe » ou encore « à l’ensilage ».

La Confédération paysanne est pour l’heure le seul syndicat à réclamer haut et fort un prix garanti. Il s’agit même de l’une de leurs principales revendications. De son côté, la Coordination rurale, syndicat agricole classé à droite, ne parle que de « prix rémunérateurs ». Quant à la FNSEA, elle demande « l’application pleine et entière des lois Egalim et de leur état d’esprit par la construction du prix en marche avant », à savoir le construire à partir du prix producteur. Mais le premier syndicat agricole français n’évoque pas la création d’un prix minimum.

Récemment, l’idée a été reprise par des partis politiques de gauche. Le 23 janvier, la députée insoumise Aurélie Trouvé a ainsi dit vouloir redéposer « une proposition de loi pour des prix planchers rémunérateurs pour les agriculteurs ». En novembre, un texte sur le sujet avait déjà été présenté par La France insoumise, mais rejeté à six voix près. Idem du côté des Ecologistes. La députée écologiste Marie Pochon a ainsi annoncé le dépôt d’une proposition de loi « visant à instaurer des prix minimums d’achat des produits agricoles ».

## Des lois souvent contournées

Officiellement, les lois Egalim doivent déjà garantir un revenu fixe aux agriculteurs et éleveurs français, même si le prix minimum ne fait pas partie de leur contenu. Il existe trois textes, respectivement votés en 2018, 2021 et 2023. La première loi a, entre autres, instauré l’inversion de la construction du prix : le contrat et le prix associé sont proposés par les agriculteurs, en prenant en compte les coûts de production, selon le ministère de l’Agriculture. Les versions suivantes de la loi ont eu pour vocation d’améliorer l’originale. La deuxième a par exemple rendu « non négociable », pour les industriels et les distributeurs, la part du prix correspondant au coût des matières premières agricoles.

Mais ces lois ont du mal à être appliquées, selon les syndicats agricoles. « Lors des négociations commerciales, les industriels ou distributeurs jouent sur la valeur de notre travail. Ils utilisent notre rémunération comme marge de manœuvre. Cela devient insupportable de travailler autant pour gagner si peu », s’agace Véronique Marchesseau.

Selon Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech, les lois Egalim ont aussi tendance à être contournées. « Certains distributeurs ont des centrales d’achat à l’étranger, ce qui les exempte de couvrir les coûts de production lors des négociations, illustre l’économiste. Un point sur lequel Marc Fesnau, ministre de l’Agriculture, a promis d’agir, jeudi 22 février, au micro de France Bleu. La nouvelle version d’Egalim pourrait comprendre, selon lui, des dispositions permettant « la fin du contournement des centrales d’achat » françaises.

## Un casse-tête à mettre en place ?

Dans le monde de la grande distribution, un PDG semble ouvert à la proposition de la Confédération paysanne. Patron de Lidl en France, Michel Biero a estimé sur franceinfo que « cela fait trop d’années que les agriculteurs sont les variables d’ajustement d’un système unique au monde ». Il s’est ainsi dit favorable à la mise en place d’un « prix minimum garanti pour le lait, pour le porc, pour le bœuf » afin de « protéger le monde agricole ».

Pour Thierry Pouch, la revendication de la Confédération paysanne est « légitime » au regard de l’instabilité du marché. « La tonne de blé, qui était à 430 euros en mai 2022 [les cours avaient flambé après l’invasion en Ukraine], est descendue à moins de 200 aujourd’hui », illustre l’économiste. Pour les défenseurs du prix minimum, sa mise en place permettrait « de ne pas subir cette volatilité », souligne Thierry Pouch. Mais fixer un seuil en fonction des denrées pourrait aussi tourner au casse-tête. « Le plus difficile sera de le faire une première fois », mais une fois cela, « on pourra faire évoluer les indicateurs sans tout reprendre de zéro » chaque année, estime la Confédération paysanne.

## Un problème de concurrence

D’ailleurs, le principe de prix minimum existe déjà au Canada, relève Jean-Marie Séronie. « Ils ont le lait le plus cher du monde et se font sévèrement concurrencer par les Etats-Unis », ajoute-t-il. « Le gouvernement ne mettra jamais en place des prix garantis. Le risque est celui d’une grosse perte de compétitivité. Si les entreprises estiment qu’ils sont trop élevés, elles iront se fournir ailleurs » dans le monde, anticipe ce professeur d’économie. Et si elles choisissent tout de même de se fournir en France, les répercussions pourront se faire ressentir du côté du consommateur, avec « une augmentation du prix » dans les rayons, anticipe-t-il.

Entre 1962 et 1992, une mesure similaire au prix minimum a existé au sein de la PAC, appliquée à certains produits (céréales, viande bovine…). On parlait, à l’époque, de « prix d’intervention ». « Les pays européens se mettaient d’accord sur un prix indicatif, qui était supérieur au marché mondial », explique Jean-Marie Séronie. Problème : si les agriculteurs ont vendu plus cher leurs denrées, la production est devenue supérieure à la demande. L’Europe, qui a constitué des stocks, a fini par les brader à l’international. Et la France « a énormément perdu d’épargnes de marché à l’époque », se rappelle Jean-Christophe Bureau.

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