Ingérences étrangères dans les Outre-mer français : focus sur Azerbaïdjan, Russie et Chine
Des opérations d’ingérences et de déstabilisation ont pris pour cible les territoires ultramarins français, de Mayotte à la Nouvelle-Calédonie. Les acteurs les plus actifs dans ces manœuvres sont la Russie, la Chine, l’Azerbaïdjan et les Comores.

Azerbaïdjan, Russie, Chine... Enquête sur les ingérences étrangères dans les Outre-mer français
          De Mayotte à la Nouvelle-Calédonie, les Outre-mer sont devenus la cible d’opérations d’ingérences ou de déstabilisation. La Russie, la Chine, l’Azerbaïdjan et les Comores sont parmi les plus actifs.

Des territoires d’outre-mer tels que Mayotte et la Nouvelle-Calédonie sont de plus en plus visés par des opérations visant à perturber ou déstabiliser leur situation. Plusieurs pays, dont la Russie, la Chine, l’Azerbaïdjan et les Comores, sont particulièrement actifs dans ces actions d’ingérence.

Le drapeau azéri flotte fièrement au vent en ce jeudi 28 mars. Reconnaissable à sa lune et son étoile blanche sur trois bandes horizontales bleue, rouge et verte, il est bien visible dans les rues de Nouméa, capitale de la Nouvelle-Calédonie. Pourtant, nous sommes très loin de l’Azerbaïdjan. Ce jour-là, des milliers de personnes défilent dans les rues de la ville à l’initiative de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT).

Principalement des Kanaks, partisans de l’indépendance et mobilisés contre le projet de « dégel » du corps électoral, ces manifestants craignent que l’élargissement du corps électoral favorise les partisans du maintien de l’archipel dans la République. Les drapeaux de la Kanaky (nom donné à la Nouvelle-Calédonie par les indépendantistes) sont nombreux, mais on remarque également la présence du drapeau azéri sur la tribune où les orateurs se succèdent.

L’Azerbaïdjan s’engage

La lointaine république du Caucase a pris parti pour le mouvement indépendantiste kanak par le biais du Groupe d’initiative de Bakou (GIB), créé le 6 juillet 2023. Ce groupe vise à soutenir le combat contre le colonialisme et le néo-colonialisme, mais semble surtout concentré sur la situation en France. Dans une vidéo promotionnelle, le directeur exécutif du GIB, Abbas Abbasov, ancien cadre du fonds pétrolier de l’État d’Azerbaïdjan, cite la Nouvelle-Calédonie, la Guyane française, la Polynésie française, la Guadeloupe et la Corse comme des « colonies ». Sur les réseaux sociaux, le GIB publie principalement sur les départements d’Outre-mer français avec des hashtags comme #politiquecolonialefrançaise. Après la manifestation de Nouméa, le fil X (ex-Twitter) du GIB se félicite de la mobilisation et de la présence du drapeau azéri dans le cortège.

Interrogé sur la présence de ces drapeaux dans les manifestations kanaks, Abbas Abbasov se défend en affirmant que ses collègues n’ont rien préparé et que les drapeaux ont été hissés à l’initiative des manifestants. Des images montrent également des participants arborant des t-shirts portant des slogans anticoloniaux et le logo du GIB.

Quel intérêt l’Azerbaïdjan aurait-il à soutenir des indépendantistes aussi loin de son influence ? Selon l’analyste en relations internationales Bastien Vandendyck, spécialiste du Pacifique Sud, il s’agit d’une stratégie de « représailles » contre la France qui a condamné les attaques azéries contre le Haut-Karabakh, peuplé majoritairement d’Arméniens. Bakou cherche ainsi à gêner la France dans sa souveraineté, sans réel intérêt pour la cause indépendantiste en Nouvelle-Calédonie. En Nouvelle-Calédonie, le débat fait rage autour du soutien du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) pour renforcer les dissensions sociopolitiques dans le pays. Bastien Vandendyck, conseiller spécial de la présidente de l’assemblée de la province Sud, s’oppose à l’analyse selon laquelle la France occupe la Nouvelle-Calédonie tout en critiquant l’Azerbaïdjan pour l’occupation du Haut-Karabakh. Il souligne que les Calédoniens ont choisi de rester français lors de trois référendums.

Une élue du Congrès de Nouvelle-Calédonie, Omayra Naisseline, s’est rendue à Bakou avec une délégation pour établir des relations bilatérales avec le parlement azéri. Cette démarche a suscité une vive réaction des élus loyalistes, qui ont dénoncé une possible ingérence dans les affaires internes de la France. Le ministre de l’Intérieur a également condamné cette initiative.

Le président du Congrès, Roch Wamytan, justifie cet appui à l’Azerbaïdjan comme un moyen de construire un réseau international pour soutenir la cause indépendantiste kanak. Il affirme que les frais du voyage de l’élue calédonienne ont été pris en charge par le gouvernement azéri. Le mouvement indépendantiste polynésien Tavini Huiraatira a également signé un mémorandum avec le parlement azéri.

La Russie soutient également la cause kanak, dans un contexte de déstabilisation globale contre les Occidentaux. Depuis l’invasion de la Crimée en 2014, la Russie cherche à affaiblir les pays occidentaux en soutenant des mouvements indépendantistes, comme en Nouvelle-Calédonie. La Chine, de son côté, mène une stratégie dans le Pacifique Sud pour renforcer son influence économique, notamment dans l’exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie.

Certains s’inquiètent d’un possible projet minier porté par les indépendantistes en partenariat avec la Chine, étant donné les liens déjà existants entre les deux parties. L’association de l’amitié sino-calédonienne a notamment été dirigée par des proches du président indépendantiste du Congrès. En Nouvelle-Calédonie, des collectivités locales ont reçu des propositions chinoises pour des projets touristiques et économiques, notamment l’exploitation du nickel, mais ont refusé en raison de la stratégie d’entrisme de la Chine. De même, à Mayotte, les Comores tentent d’exercer une influence en revendiquant l’île, surnommée « l’île sœur », et en laissant partir des migrants vers Mayotte sans les accueillir à leur retour. Cette situation a conduit à une forte présence de populations étrangères à Mayotte, en plus des demandeurs d’asile africains.

Par ailleurs, la Russie soutient les Comores en accusant la France de contrôler illégalement Mayotte, ce qui a conduit à des attaques en ligne et des pannes informatiques à Mayotte. La Russie a également exprimé sa volonté d’interagir avec les Comores pour un règlement politique rapide de la situation autour de Mayotte. À Mayotte, on observe quelques signes de rapprochement avec la Russie, tels que des drapeaux russes et des graffitis en faveur de Vladimir Poutine. Même si aucune preuve formelle n’est disponible, cela rappelle les tactiques de guerre hybride utilisées par la Russie en Afrique subsaharienne francophone.

Une Maison de la Russie a été ouverte à Moroni en mars 2024, ce qui soulève des inquiétudes, car le territoire comorien est utilisé comme base arrière par Total, une entreprise française qui exploite du gaz dans le canal du Mozambique. Cette exploitation vise à sécuriser les approvisionnements en gaz de la France, qui ont été fragilisés par le conflit en Ukraine. Les relais d’influence russes ressemblent à ceux mis en place au Burkina Faso et au Mali après le retrait des troupes françaises, ce qui laisse penser que Moscou dispose désormais d’un avant-poste stratégique à proximité d’un département français. Les services de renseignements français surveillent de près la situation aux Comores.

En juillet 2021, Viginum a été créée pour lutter contre la désinformation et les menaces en ligne, en surveillant les ingérences numériques étrangères. Ce service a été testé en Nouvelle-Calédonie lors du référendum sur l’indépendance, face à des activités en ligne suspectes. L’état-major des Armées et une sous-direction du ministère des Affaires étrangères ont également été mandatés pour proposer des réponses à ces menaces. Cependant, les autorités françaises préfèrent ne pas communiquer publiquement sur le sujet pour ne pas faire la promotion de l’adversaire.

Certains acteurs s’inquiètent du manque de lucidité des autorités face aux ingérences étrangères, soulignant le besoin d’outils et d’analyses pour contrer ces menaces. Le député Sacha Houlié appelle à une vigilance absolue et à une sensibilisation de la société française dans la lutte contre les ingérences étrangères.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut