Etoiles Michelin 2024 : déjeuner incognito inspectrice Guide

Reportage



  

  
  

      

  

  
    Etoiles Michelin 2024 : on a déjeuné incognito avec une inspectrice du Guide
          Lundi, le petit livre rouge dévoile sa nouvelle sélection des meilleures tables de France. Exceptionnellement, une évaluatrice expérimentée a accepté de nous dévoiler comment elle juge si un restaurant mérite d'être étoilé.

Le lundi, le célèbre guide gastronomique français, le petit livre rouge, a révélé sa nouvelle liste des restaurants les mieux notés en France. Pour la première fois, une critique culinaire chevronnée a accepté de partager avec nous les critères qu’elle utilise pour déterminer si un établissement mérite d’être récompensé d’une étoile.

Une critique gastronomique sous couverture

Comme à son habitude, elle a réservé sous un faux nom. Aujourd’hui, elle se fait appeler Sarah ; la semaine dernière, c’était Holly. À cinquante ans, elle a une allure sage mais décontractée qui n’éveille pas les soupçons des serveuses du restaurant où nous venons de nous installer, en pleine campagne, à l’ouest de Londres. Sarah est britannique et inspectrice depuis vingt ans pour le Guide Michelin, dont le palmarès français doit être dévoilé le lundi 18 mars. Un travail à plein temps, toujours dans l’anonymat.

« J’ai plusieurs adresses e-mail pour faire mes réservations. Je change souvent de numéro de téléphone », explique-t-elle. « Comme les restaurants se méfient des personnes seules, la plupart du temps, nous venons à deux inspecteurs. Cela permet aussi de goûter plus de plats. Nous voulons vivre la même expérience que les clients ». Exceptionnellement, Sarah a accepté que nous l’accompagnions.

« On ne va pas commander les meilleurs vins »

Le restaurant où nous déjeunons est un pub déjà récompensé d’une étoile au Guide Michelin. Boiseries patinées, éclairages tamisés, ambiance élégante et chaleureuse. Nous optons pour le menu du jour à 50 livres (un peu moins de 60 euros). « Nous essayons de choisir ce qui permet de cerner la personnalité du chef », précise Sarah. « Nous avons une enveloppe budgétaire annuelle à respecter et on ne fait pas n’importe quoi : on ne va pas commander les meilleurs vins ou un supplément truffes par exemple ».

Les entrées arrivent. Cassolette aux champignons pour elle, tartelette de betterave et fromage de chèvre fumé pour moi. La présentation semble lui plaire. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les critiques gastronomiques ne se contentent pas de disséquer chaque ingrédient dans leur assiette. Sarah prend des bouchées ordinaires. « J’ai étudié la cuisine en école hôtelière », nous confie-t-elle. « Mes collègues ont des profils variés : certains ont été chefs de rang, d’autres sommeliers. Mais en entrant chez Michelin, on a tous dû suivre une formation spécifique ». Pour ne pas attirer l’attention, Sarah prend très peu de notes sur son smartphone. Elle préfère mémoriser chaque détail.

Un étoilé, « ça peut être aussi simple que ça »

Un plat anglais traditionnel arrive ensuite : une shepherd’s pie, une sorte de hachis parmentier revisité, avec des petits légumes caramélisés et des herbes fraîches. Mérite-t-il vraiment une étoile ? Pour Sarah, la réponse est oui : « C’est généreux et délicieux. Beaucoup de gens pensent que les étoiles sont réservées aux restaurants chics. Mais ça peut être aussi simple que ça ». Son discours s’inscrit dans la volonté actuelle de Michelin de casser son image élitiste. Face à une concurrence de plus en plus forte (Tripadvisor, avis Google, le Fooding, 50 Best…), le Guide cherche à se renouveler. Prudente, Sarah évite de détailler davantage les plats en présence de témoins.

Les desserts – une panna cotta à la cannelle et aux pommes pour elle – prennent leur temps. Sarah n’en fait pas un problème : « Ça a l’air bon. Ça valait la peine d’attendre. On voit que c’est fait minute ». Vient le moment de l’addition. Comme tous les inspecteurs du célèbre Guide, Sarah paie toujours son repas. Interdiction d’accepter des invitations ou des cadeaux. Mais comment éviter d’être démasquée par sa carte bancaire ? « Le nom Michelin n’apparaît pas dessus. Mais notre vraie identité est mentionnée, c’est obligatoire. L’autre jour, mon collègue a réussi à prendre le lecteur des mains de la serveuse et à insérer sa carte lui-même pendant que je la distrayais en lui parlant », raconte-t-elle. Et que répond-elle si la serveuse lui demande sa profession ? « Oh, je réponds que j’ai un métier pas très passionnant, dans les nouvelles technologies… », sourit Sarah. « Et je change de sujet : ‘Au fait, comment va le roi Charles en ce moment ?' ».

Un verdict collégial

Pour un amateur, ce repas pourrait ne pas sembler exceptionnel. Mais pour Sarah, ce pub anglais mérite toujours son étoile. « C’était bien, d’ailleurs, regardez : tout le monde a l’air heureux », glisse-t-elle avant de quitter discrètement les lieux. « Il y a quelques années, à la fin du repas, on se présentait, on révélait qu’on était du Guide Michelin », se remémore l’inspectrice. « Ça me manque. C’était toujours très intéressant d’échanger, le chef nous parlait de ses nouveaux plats… » Mais cette habitude a été abandonnée par l’institution.

« C’était une autre époque, il y avait moins de restaurants et pas de réseaux sociaux. On a dû y renoncer, parce qu’on veut continuer à pouvoir faire notre travail de façon anonyme. »

Sarah, inspectrice du Guide Michelin

à franceinfo

Finies les discussions avec les chefs : ses commentaires, Sarah les réserve pour son ordinateur. Service, ambiance, menu, carte des vins, rapport qualité-prix et bien sûr, avis sur tous les plats dégustés… Après chaque repas, dans le calme de sa chambre d’hôtel, elle rédige un compte-rendu détaillé dans un logiciel qui regroupe tous les rapports d’inspection de milliers de restaurants à travers le monde en temps réel.

Michelin affirme ne prendre en compte que le contenu de l’assiette pour attribuer des étoiles. Sarah doit indiquer si, selon elle, le restaurant mérite une, deux ou trois étoiles. Un même établissement peut être inspecté plusieurs fois par différentes personnes. Une réunion « étoiles » entre tous les inspecteurs permet de décider collégialement et de décerner les précieuses récompenses.

Jusqu’à 270 restaurants par an pour un inspecteur

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des inspecteurs ne seraient pas français. « Nous avons des équipes dans le monde entier. Moi, je vis au Royaume-Uni. Nous avons des inspecteurs français qui se déplacent en Espagne ou aux États-Unis. Nous, les Anglais, voyageons également dans de nombreux pays », explique-t-elle. Le Guide Michelin s’est internationalisé et couvre désormais 45 destinations. Le nombre d’inspecteurs anglais tournerait autour d’une douzaine, mais Michelin refuse de divulguer ses effectifs à l’échelle mondiale.

Sarah, qui est également responsable d’une équipe d’inspecteurs, mange un peu moins au restaurant qu’avant. Elle a tout de même pris 180 repas dans le cadre de son travail l’année dernière. En moyenne, un inspecteur peut visiter jusqu’à 270 restaurants par an. Elle garde précieusement des photos de tous les plats dans son smartphone : 584 ont été prises en France l’année dernière, notamment dans des restaurants étoilés inspectés en Provence. À la longue, un tel rythme peut-il avoir des conséquences sur sa santé ? « Nous devons passer des examens médicaux réguliers », assure-t-elle. « J’ai fait vérifier mon cholestérol et ma glycémie l’année dernière : tout va bien. Et puis, vous savez, la gastronomie est beaucoup plus légère qu’avant. Je fais aussi du sport : beaucoup de vélo en salle et de la natation au moins deux fois par semaine ». Le tout à un rythme effréné. Le lendemain, Sarah prendra l’avion pour une nouvelle mission de douze jours. Destination secrète.


« Michelin, dans le secret des étoiles » : le reportage sera diffusé jeudi 21 mars à 21 heures dans « Envoyé spécial », sur France 2.

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